La Croix : Ce jeudi 3 juin, le procès de 13 personnes qui ont harcelé ou menacé de mort en ligne la jeune Mila devrait être médiatisé, comme, en mars, celui d’étudiants à l’origine de messages haineux contre la communauté asiatique. Pensez-vous que cet écho peut contribuer à la lutte contre la haine en ligne ?
Philippe Coen : On se réjouit que la justice puisse juger des personnes qui se sont rendues coupables d’actes d’une particulière gravité. C’est l’occasion de montrer que la cyberviolence peut ne pas rester impunie même si, au final, les sanctions restent légères.
Dans l’affaire concernant la communauté asiatique, dans laquelle notre association était partie civile, les auteurs ont écopé d’un stage de citoyenneté de deux jours. Mais le plus important est que des sanctions aient été prononcées à l’issue d’un procès qui a permis de décortiquer la mécanique de cette haine en ligne.
Que voulez-vous dire ?
P. C. : Cette campagne contre la communauté asiatique a démarré après l’annonce du deuxième confinement. Sur les réseaux sociaux, on a alors vu apparaître des « blagues » sur les personnes originaires d’Asie. Puis, tout cela a très vite basculé vers des messages de plus en plus haineux et violents, avec des appels à les « tabasser ». Et cela n’est pas resté sans conséquences puisque des personnes ont effectivement été agressées « pour de vrai » et qu’une certaine psychose s’est diffusée dans cette communauté très éprouvée.
Ensuite, à l’audience, on a vu des étudiants bien insérés. C’est ce qui m’a sidéré : le niveau de langage et d’éducation de ces personnes était inversement proportionnel à la nature de leurs tweets très basiques et violents. On a senti un énorme décalage entre la gravité de ces messages et le sentiment de ces étudiants pour qui il s’agissait juste, au départ, d’échanges potaches entre copains.
Cette affaire a, une nouvelle fois, démontré la banalité et la puissance virale de la haine raciale. C’est d’ailleurs à la suite d’une autre affaire, où on voyait cette même haine virale, que j’ai décidé de créer l’association en 2014.
Pour quelle affaire ?
P. C. : Mon fils avait alors 12 ans et il avait un professeur d’origine africaine avec un fort accent. Dans sa classe, certains ont monté un groupe Facebook : « Si comme moi, tu hais monsieur M., tu peux liker notre groupe. » Et ce qui, là encore, m’a sidéré, c’est le « succès » de cet appel, qui s’est très vite propagé au-delà de la classe de mon fils, du collège et même de la ville où il était situé.
De manière très concrète, j’ai réalisé que la haine raciale peut se propager à une vitesse folle sans que, peut-être, les uns et les autres ne mesurent réellement la gravité que constitue le fait de « liker » ou de faire suivre ces messages. Les relayer, ce n’est pas une « bonne blague » entre copains.
C’est là le vrai « remède » contre cette haine en ligne : il est certes capital que la justice se mobilise, mais le combat doit se mener en amont en sensibilisant les utilisateurs des réseaux sociaux. Notamment ceux qu’on appelle les « bystanders », toutes ces personnes qui ne sont pas l’origine des messages mais qui, en « passant », en sont témoins et les font circuler.
Comment peut-on aider les victimes de cette haine en ligne ?
P. C. : En leur apportant un soutien juridique et psychologique. C’est avec cet objectif que nous avons créé en lien avec l’université Paris-Dauphine une clinique juridique pour faire travailler des étudiants sur la mise au point d’outils innovants pour aider les victimes à qui nous apportons aussi des conseils via des avocats et des juristes. Et avec l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, nous avons monté une consultation pour recevoir les victimes de cette haine en ligne.
Source : La Croix