Le débat sur l’anonymat sur internet a été relancé par le Premier ministre Jean Castex en fin de semaine dernière dans les colonnes du « Parisien » . « On peut vous traiter de tous les noms, de tous les vices, en se cachant derrière des pseudonymes. Dans ces conditions, les réseaux sociaux c’est le régime de Vichy : personne ne sait qui c’est ! », a-t-il lancé. Six mois plus tôt, Emmanuel Macron appelait à une « une levée progressive de l’anonymat » .
Largement débattue ces dernières années, sans cependant avoir été tranchée, la question de l’anonymat en ligne est une véritable ritournelle politique. Questions sur un sujet plus complexe qu’il n’y paraît.
1. Peut-on être véritablement anonyme sur Internet ?
Difficile de ne laisser aucune trace de son passage sur la Toile. Les adresses IP trahissent les faits et gestes des internautes les plus aguerris. Ces suites de chiffres permettent aux machines de communiquer entre elles selon le « Protocole Internet (IP) ». « Une simple adresse IP permet d’estimer une géolocalisation approximative », indique Antoine Champagne, co-fondateur du pure player Reflets. info et spécialiste des nouvelles technologies.
Chaque opérateur dispose d’un portefeuille limité d’adresses IP et les attribue à chaque connexion. Il est donc aisé de remonter jusqu’au fournisseur d’accès qui possède souvent des données précises sur l’identité de l’internaute.
Grâce à cette adresse, les sites Internet disposent eux aussi d’une mine d’informations. « Ils sont capables de donner la taille de l’écran de l’ordinateur, du type de système d’exploitation installé, jusqu’à la version de Google chrome utilisée », illustre Antoine Champagne. « Il est impossible d’être anonyme sur Internet à moins d’être un technicien de très haut vol. Raconter que l’on est anonyme sur Internet est une aberration totale. Il y a une méconnaissance des politiques de la façon dont fonctionnent les technologies », conclut-il.
2. Que prévoit la loi ?
La question est encadrée par la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), véritable colonne vertébrale du droit de l’Internet Français. « L’anonymat au sens propre n’existe pas. En revanche, l’article 6 de la LCEN reconnaît et garantit un droit à l’anonymat », nuance Olivier Iteanu, avocat et auteur du livre Quand le digital défie l’Etat de droit.
Cette loi dispose que « les personnes éditant à titre non professionnel un service de communication au public en ligne », tels que les blogueurs, ne sont pas tenus de révéler leur identité, à condition d’avoir fourni à l’hébergeur les informations nécessaires à leur identification.
Quid des hébergeurs et opérateurs ? « Ce texte leur impose de conserver toutes les traces de connexion. Ces données sont soumises au secret professionnel mais peuvent être transmises à la justice si celle-ci le demande », précise le juriste.
« Il est vrai que les grandes plateformes (Twitter, Facebook, etc.) consentent désormais à révéler l’identité de délinquants à la police. Certains sites plus modestes, souvent basés à l’étranger, ne le font pas. Il est très difficile de les obliger à le faire dans la mesure où ils n’ont pas de représentation en France », constate Philippe Coen, président fondateur de l’ONG Respect Zone , une association d’assistance juridique aux personnes victimes de cyber-harcèlement.
« Une impunité presque absolue demeure malgré la LCEN », déplore le militant. La première cause est, selon lui, le manque de moyens au niveau policier. « Il existe Pharos (plateforme en charge de la surveillance des contenus illicites sur Internet, NDLR). Les cyber-gendarmes ne sont qu’une vingtaine et ont des moyens très limités. Ils vont donc à l’essentiel, à savoir le terrorisme, la pédophile et les tentatives de suicide. De plus, ils ne traitent que de ce qui est visible du grand public. Ce qui se passe au sein des conversations et groupes privés est examiné par les commissariats de police », précise-t-il.
3. Faut-il interdire le pseudonymat sur internet ?
Le débat relancé par le nouveau premier ministre ne porte pas tant sur l’« anonymat ». La question est en fait celle du « pseudonymat ». Son interdiction signifierait que nul n’aurait le droit de s’exprimer sur Internet sans révéler son identité. Cela pourrait obliger les internautes à confier des documents sensibles à certaines plateformes déjà contestées pour les libertés qu’elles prennent avec les données personnelles de ses utilisateurs.
Une telle mesure entraînerait nécessairement une autocensure bienvenue pour lutter contre la haine en ligne, le cyber-harcèlement et les fausses informations. « C’est oublier que le pseudonymat est une garantie pour la démocratie. Lanceurs d’alertes, employés d’entreprises, fonctionnaires soumis au devoir de réserve… Il permet à ces personnes de s’exprimer librement. La haine est quelque chose qui prend racine dans le monde réel. Il faut donc la combattre dans le monde réel », objecte Antoine Champagne.
« La levée du pseudonymat serait une atteinte aux libertés individuelles. Il faut en revanche donner plus de moyens à la justice et à la police », ajoute Philippe Coen.
Si Jean Castex a assuré que la question n’était pas sa « priorité », le débat pourrait refaire surface à l’occasion du lancement de l’observatoire de la haine en ligne à la fin du mois de juillet.
source : Les Echos